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Bulletin de l'amicale (2019) - Le mot du Proviseur

Index de l'article

Le lycée d’aujourd’hui

Le mot du proviseur

Les vacances d’été

L’affichage des résultats du bac, début juillet, est un des ultimes rituels qui précède les vacances d’été. Des manifestations de joie et des pleurs (de plus en plus rares) troublent alors le silence de la cour centrale ; c’est comme une rumeur sourde, émaillée de sons discordants qui enfle soudainement et s’exaspère bientôt, pour à nouveau, laisser place au silence. C’est en quelque sorte le chant du cygne de l’année scolaire. Le silence, lui, durera près de deux mois. Certes, quelques jours plus tard, à l’occasion des épreuves orales du « rattrapage », les

lieux connaissent un regain d’animation, mais une certaine torpeur s’est installée, et les ultimes psychodrames suscités par ces tardives proclamations de résultats n’y changent rien, une chape de silence s’est déjà abattue sur le lycée.

Après le 14 juillet, les allées et venues des quelques résidents ne parviennent pas à troubler le silence monacal qui semble suinter de ces vieux murs. Même les pigeons, pourtant si présents, si encombrants, si malfaisants avec leurs déjections inconvenantes, partent. L’absence des élèves leur est insupportable, ou plutôt l’absence de miettes leur est insupportable. Fin juillet, le lycée n’est plus égayé que par le chant mélodieux des corbeaux, propriétaires de ces hautes futaies qui, dans le parc, génèrent une ombre appréciée par quelques écureuils craintifs et par quelques chats errants. Parfois, la silhouette discrète du proviseur-adjoint apparaît furtivement derrière une fenêtre. On peut le rencontrer tard le soir, l’esprit accaparé, perdu dans le labyrinthe des emplois du temps de l’année à venir qu’il s’échine à rendre meilleurs pour le bien-être de tous. Début août, il n’y a plus âme qui vive.

Le réveil est brutal. Vers le vingt août, le coeur du lycée bat à nouveau mais sur un rythme qui ne lui est pas habituel. On est loin de la litanie des sonneries qui découpent la journée en séquences immuables. Le lycée va vivre quelques jours sur un rythme moins contraint, moins prévisible, plus musical. Le règlement intérieur n’est plus d’actualité, c’est le régime de la transgression qui s’installe. Le théâtre de rue investit le temple du savoir et le débraillé a désormais pignon sur rue. Il ne s’agit pas d’une invasion mais d’une location consentie, fruit d’une convention qui lie le lycée à l’association Eclat, organisatrice du Festival International de Théâtre de Rue d’Aurillac. Les premiers arrivants sont les plus discrets. Ce sont les membres de diverses compagnies dont les spectacles font partie du programme officiel. Ils occupent les dortoirs ; le matin ils déambulent gentiment sous les coursives avant de prendre leur petit déjeuner au foyer des élèves. Plus tard ils partent en ville préparer leurs représentations. Ceux-là ne font que passer. D’autres, issus de troupes moins prestigieuses, campent parfois sur les pelouses et donnent leur spectacle sur place.

Ainsi, cette année, un collectif de petites compagnies s’est installé dans le parc (Collectif des arts foux). A l’ombre des arbres séculaires, les chats errants durent partager l’espace avec les « itinérants intermittents » du spectacle.

Les félins n’eurent pas à s’en plaindre. Partageant la même nonchalance, et la même soif d’indépendance, ils cohabitèrent sans difficulté. Le temps du festival, cette faune cosmopolite et très urbaine anima le parvis du lycée avec un enthousiasme bon enfant. Portés sur la communication, aimant la discussion, ces « gens du voyage » venant d’Allemagne, d’Espagne ou du Danemark prenaient langue sans ambages avec les indigènes pour s’informer des us et coutumes locales. Le fonctionnement du lycée les intéressait particulièrement, leur pratique de la langue française permit des échanges intéressants. Pendant quelques jours ce fut, pour reprendre le titre d’un roman d’Antoine Blondin, « L’Europe buissonnière ».

Une architecture fragile, précaire et improvisée modifia pour un temps l’atmosphère solennelle générée par la façade intimidante du lycée. L’installation de barnums, de toiles de tente, d’une scène champêtre et de guirlandes fit oublier l’aridité et la géométrie implacable des murs… Un camion de pompier allemand, oh combien vétuste !, réaménagé en camping-car, stationnait le long de la haie de lauriers et renforçait l’aspect folklorique du campement. Son chauffeur, un sexagénaire placide aux allures de gourou (catogan poivre et sel, culotte de peau et rangers délacés) était souvent assis sur un siège pliant à l’ombre de la carrosserie cabossée.

Économe de ses mouvements, il semblait méditer en fumant et en buvant de la bière pression. Les allées récemment bitumées étaient recouvertes de pièces de moquette multicolores ; des bambins, peu surveillés, les arpentaient en se chamaillant. Le public, un peu perdu, croisait des comédiens grimés et costumés.

Le lycée vécut pour un temps dans une ambiance de guinguette. On pouvait boire de la bière (allemande), manger (« La meilleure pizza de l’univers »), assister à des spectacles, écouter de la musique, discuter avec des gens ouverts et cultivés… Le dépliant publicitaire, distribué à l’envi, présentait ainsi les genres de proposés :

« Acrobatique, Butoh (?), Clown, Danse, Marionettes (avec un seul n), Musique, Théâtre, Restauration et Buvette »... Le proviseur et le proviseur-adjoint à pied d’oeuvre pour préparer la rentrée travaillèrent ainsi dans un climat de fête assez inhabituel. Ils purent assister, durant leurs récréations, à de brèves représentations (certaines ne duraient pas plus de cinq minutes). La programmation témoignait de beaucoup d’éclectisme, d’autodérision et de cosmopolitisme: Surfingthe street (Cie el Tioteo), Happy stoto (Cie Rita Buqu), La vie en

rose d’Augustine (Cie Stradetella), Altar pièces (Cie Theatrum Elasticum), Cirque Ritalino (Nike Herrberg), Kaspar c’est moi ! (Cie Nuage Fou),Teatime (Cie La Dame perchée), Feu magique (Cie Duo Vendora). Cette effervescence se poursuivait tard dans la nuit, sur les programmes cet avertissement : « ! Fête tous les soirs ! à partir de 21.30 ; Mercredi-Électro Swing, Jeudi - Funky Techno, Vendredi - Cumbia, Samedi - Bal Curiex».Tout cela pouvait paraître ésotérique. Les non initiés les plus tolérants décelaient à travers ces vocables une

poésie et un théâtre d’avant-garde non dénués de charme, les autres dénonçaient l’abus d’anglicismes et le dilettantisme de ces « saltimbanques sans envergure ».

Tout finit par rentrer dans l’ordre quand revint le temps plus prosaïque de la prérentrée. Un autre collectif prit possession des lieux, un autre langage se fit entendre, plus limpide, moins abscons : lundi – RGPD (Règlement Général sur la protection des données), DHG (Dotation horaire globale), PPMS (Plan particulier de mise en sûreté), TRMD (Tableau de répartition des moyens par discipline), PPCR (Parcours professionnel, carrières et rémunérations, IMP, STS, AED, CVL…

Le lundi, donc, celui de la dernière semaine d’août, le festival avait vécu. Le lycée retrouvait son calme d’avant la tempête. Aucune trace tangible des « arts foux » n’était perceptible dans le parc, à croire que cette parenthèse n’avait été qu’un mirage. Au fil des jours, le lycée redevint très scolaire. A l’arrivée des élèves, début septembre, la routine s’installa pour de longs mois. Les pigeons retrouvèrent leur pitance et les corbeaux leur public.

Le Proviseur

Serge Vignaud

 

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