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Bulletin de l'amicale (2014)

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RENCONTRES

En l'espace de quelques semaines, j'ai eu l'honneur de rencontrer deux anciens élèves qui avaient souhaité, après de nombreuses années vécues loin d'Aurillac, témoigner de leur attachement à leur lycée. Nicolas Rubio et Alain Le Méhauté sont revenus dans le Cantal pour se souvenir mais aussi pour reconnaître un dû.

Apparemment ces fortes personnalités ne se ressemblent pas. Pourtant, au-delà des différences de parcours et de générations, au-delà des évènements qui ont pu marquer leur vie privée ou professionnelle, on retrouve une même indépendance d'esprit, un même altruisme, une même passion. L'œuvre qu'ils laisseront derrière eux, artistique pour l'un, scientifique pour l'autre, procède en quelque sorte d'un même génie.

Ils le disent, leur passage au Lycée Emile Duclaux les a marqués durablement. On se plaît à penser que ces années de formation ont décidé de leur réussite future et contribué à libérer ce génie si singulier dont on perçoit vite les contours au gré de leur conversation.

Nicolas Rubio a dix ans, lorsqu'en 1938, il quitte l'Espagne alors en pleine guerre civile pour se réfugier avec sa famille dans la région d'Aurillac.

 En 1948, il repart avec les siens pour s'installer définitivement à Buenos Aires en Argentine et s'engager dans une carrière artistique qu'il poursuit

encore aujourd'hui

C'est un peintre inclassable. La mémoire est la matière de son travail, la narration son style. Il raconte en peignant et ce qu'il dit, souvent (plus de six cents tableaux), c'est le quotidien des habitants de Vielles, ce village près d'Ytrac où il vécut pendant dix ans..

Malgré les réticences de ses parents, il a voulu partager la vie de ces petites gens, il a su gagner leur confiance, il est devenu un des leurs. A Vielles, il a beaucoup appris et on lui a beaucoup donné ; à sa façon il n'a cessé de rendre, son œuvre est un cadeau sublime.

Ayant prévu d'effectuer un pèlerinage sur ses terres d'Auvergne, Nicolas Rubio m'avait envoyé une lettre manuscrite dans laquelle il manifestait le souhait de rencontrer le proviseur du Lycée Emile Duclaux. Finalement, cette rencontre eut lieu à Murat, à l'occasion de la projection d'un film au titre évocateur : "75 habitants, 20 maisons, 300 vaches". On y voit le peintre au travail, travail de la mémoire et travail de la main. Il apparaît que le souvenir de Vielles est ressassé pour être magnifié en une saga que l'artiste tâche, par fidélité et souci du détail, de faire coïncider au mieux avec la réalité d'hier. Conquis par ce beau film qui rend bien le caractère onirique de l'œuvre, le public a justement salué le réalisateur présent aux côtés du peintre. Enfin, après les échanges qui ont prolongé la séance, Nicolas Rubio a voulu dédier cette soirée à une de ses amies originaire de Vielles et au Lycée Emile Duclaux à travers son proviseur. Si l'intention m'a beaucoup touché, j'ai été surpris de constater que le plus ému était sans doute l'ancien élève qui me confiait avec beaucoup de candeur et un peu de malice qu'il n'avait jamais côtoyé d'aussi près le proviseur de son lycée. Il me fit un résumé sans doute peu objectif de sa scolarité : « élève moyen, sans plus ». Il fut moins laconique dans la relation d'une chute spectaculaire qu'il fit sur le trajet qu'il effectuait quotidiennement à bicyclette pour rejoindre le lycée.

La géographie situe Buenos Aires à des milliers de kilomètres du volcan cantalien. Dans l'univers de Nicolas Rubio, Buenos Aires est une proche banlieue de Vielles. Quant au lycée Emile Duclaux, c'est en fait le lycée de Vielles ; il est situé un peu à l'écart du village, à la sortie d'un virage dangereux qu'il faut négocier avec prudence lorsqu'on se déplace en vélo. Le proviseur du lycée est un être inaccessible à qui on rend des comptes une fois que l'on a atteint l'âge de la retraite. Nicolas Rubio déborde d'humanité et chacun de ses tableaux est l'expression de ce débordement.

Dans un courrier à l'en tête de l'Université Fédérale de Kazan en Russie, le Professeur Alain Le Méhauté m'écrivait ceci : « Rapatrié alors que mes parents restaient en Algérie en 1962, j'ai été interne de votre lycée dans la période 1962-1965. Cet épisode de ma vie, fortement affecté par 8 ans de guerre et l'absence de ma famille, a été pour moi une période de construction. J'ai rencontré à Aurillac des hommes remarquables et aussi humains que l'était alors votre prédécesseur... ». Ces mots nous touchent, puisse notre communauté mériter aujourd'hui une telle reconnaissance !

Si, compte tenu des circonstances, il n'a pu donner sa pleine mesure au lycée, Alain Le Méhauté a fait des études supérieures brillantes et son parcours professionnel, a été, à bien des égards, exceptionnel. Titulaire d'un diplôme d'ingénieur et d'un doctorat il s'est investi dans l'industrie (Alcatel Alsthom), au CNRS comme directeur de recherche associé et à l'Université comme professeur associé à l'Université d'Orsay et Centrale à Paris. Enfin, il a contribué à créer et a été directeur d'une Grande Ecole, l'Institut Supérieur des Matériaux et Mécaniques Avancés du Mans.

Il est en outre l'auteur de plusieurs ouvrages de physique-mathématiques et, surtout, l'auteur de multiples inventions dont certaines ont contribué à révolutionner notre vie quotidienne. Citons pour exemple l'invention des batteries ion-lithium qui équipent de nombreux appareils nomades dont les téléphones mobiles.

La retraite n'a guère tempéré son enthousiasme puisqu'il poursuit actuellement une activité scientifique au niveau international. Lorsqu'il est venu nous rendre visite, nous avons bien senti que le démon de la recherche ne lui avait pas encore signifié un congé définitif. Il passionna les élèves lors d'une conférence traitant de l'invention des géométries fractales, sujet qu'il connaît bien puisqu'il fut le collaborateur de Benoît Mandelbrot, leur initiateur.

Lors de son intervention, il prit soin de se présenter d'abord comme un ancien élève du lycée, instituant d'emblée une connivence qui contribua peut-être à rendre plus accessibles ces théories absconses. Par ailleurs, il sut montrer comment à partir d'un concept hyperthéorique on pouvait dériver vers un objet aussi courant qu'une batterie ion-lithium...

Enfin, et ce ne fut pas le moins intéressant, il essaya de motiver les élèves à « investir de manière transdisciplinaire leurs études ». La philosophie, la littérature, la musique ou les arts plastiques ne sont pas de simples auxiliaires de la science mais des nourritures nécessaires pour qui veut aller plus loin sur les difficiles chemins de la connaissance. Ce fut d'ailleurs un des axes forts autour duquel devait s'organiser le projet pédagogique de la Grande Ecole qu'il dirigea.

Alain Le Méhauté souhaite léguer ses archives au Lycée Emile Duclaux. Ces archives comportent des originaux de brevets, une collection complète des travaux de physique théorique menés avec Benoît Mandelbrot ainsi que « des maquettes et originaux de peintures et sculptures issues de travaux transdisciplinaires entre les beaux arts et les mathématiques ».

L'archivage de ces originaux aurait pu se faire ailleurs, mais il ne l'a pas souhaité : « Attendu le rôle qu'ont joué les années passées au Lycée E. Duclaux, je serais heureux de pouvoir donner à ce qui fut mon lycée, ces documents et objets qui ont et auront plus encore demain une valeur historique. »

Nous avons bien évidemment accepté ce don qui honore notre institution.

Avant de regagner son domicile d'Ile de France, Alain Le Méhauté a visité le lycée qui a un peu changé depuis les travaux de restructuration mais pas suffisamment pour qu'il ne puisse reconnaître l'endroit où, élève, il s'était isolé pour lire en toute tranquillité La théorie de la relativité d'Albert Einstein. C'était en haut d'un escalier permettant d'accéder à l'infirmerie. Récemment, j'y ai vu une élève, recroquevillée sur la dernière marche, le téléphone portable vissé à l'oreille.

Les écoles, dit-on, doivent être des sanctuaires. Elles sont souvent et avant tout des refuges où les enfants et les adolescents trouvent, lorsque les liens familiaux sont trop lâches ou trop serrés, le moyen de se découvrir, de se repérer et parfois de s'épanouir.

Il arrive que ceux qui sont accueillis supportent un autre poids, celui de l'exil. Ceux-là savent,plus que tout autre, que l'école est un refuge.Nicolas Rubio et Alain Le Méhauté ont exprimé leur reconnaissance avec beaucoup de pudeur et de sincérité.

 

Le Proviseur : Serge VIGNAUD