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Une naissance tumultueuse...

Extrait de l’ouvrage édité par l’association pour le centenaire du Lycée Emile Duclaux.

Préhistoire : le collège d’Aurillac.

En janvier 1548 dame Jeanne de La Trelhe (ou La Treilhe), veuve de Ferrand de Vileneuve, fit donation de la moitié de ses biens ”pour faire construire, édifier, fonder et doter un collège d’école et d’études en ladite ville d’Aurillac.” Les débuts rue de Lacoste furent pénibles – et en 1618, on résolut de confier ce collège aux jésuites de Toulouse qui ”s’obligèrent de fournir des régents et professeurs pour cinq classes, savoir de rhétorique, humanités et grammaire.” La ville s’obligea de fournir aux jésuites pour l’entretien 3000 livres et de donner une maison, les ameublements et une somme de 1500 livres pour la bibliothèque. Le transfert eut lieu rue Saint-Etienne (devenue rue du Collège) et l’établissement ouvrit en 1620.

Après l’épidémie de peste de 1628, le collège est florissant, avec plus de 400 élèves.

S’il est de la campagne et pauvre le collégien est logé par sa famille chez une veuve ou dans un ménage d’artisans, qui lui donne un lit et lui prépare ses aliments :

c’est ce qu’on appelle le caméristat. Tous les samedis on lui envoie une tourte, le beurre et le lard, et pour les jours de fête des œufs, plus rarement un poulet. Levé de bonne heure à la lueur du ”calel”, il repasse ses leçons de latin, Cicéron, Ovide ou Virgile. Ses livres sous le beas, l’encrier de corne suspendu à la boutonnière, il se dirige vers le collège. Professeurs et élèves se saluent d’un ”Salve optime pater !” ”Salve discipuli carissimi !”, car il faut parler latin le plus possible.

La classe s’ouvre par la prière, puis récitation des leçons, une version, un thème ou une petite composition littéraire, et l’après-midi, les mêmes exercices. Le soir certains courent les rues, se livrent à des farces, comme enseignes dépendues et changées de place.

L’émulation était un des fondements de l’éducation dans les maisons de la compagnie de Jésus. Les élèves étaient groupés en Académies, où ils lisaient des compositions en prose et en vers, et les camarades présentaient des observations, suivies de répliques et contre-répliques, donc un entraînement à la discussion raisonnée.

En août 1779 (après le départ des jésuites, 1762) devant toutes les personnalités de la ville, le programme de ces exercices comprend : la religion, la géographie l’histoire grecque et romaine, l’histoire de France, l’histoire de l’église, le règne végétal, les mathématiques (la sphère)… Les sciences tenaient leur place légitime dans cet enseignement. D’ailleurs c’est un professeur du collège, l’abbé Murat qui le 12 mars 1784 (moins d’un an après l’expérience des frères Montgolfier) a fait s’élever deux ballons, à partir du foirail, à l’emplacement du square actuel. Le premier s’éleva à 300 mètres de hauteur et alla tomber à une demi-lieue de la ville, près de Massigoux.

En 1792, les classes et la chapelle servirent de salle de réunion pour la société populaire et pour l’élection des officiers de volontaires nationaux. On y installa aussi une manufacture de salpêtre ! En 1793 l’école fut fermée et on y caserna des soldats.

La nouvelle école secondaire, sous la direction d’Abadie, cordelier rentré dans la vie civile après le Concordat, et avec cinq professeurs est fréquentée par 150 externes, et 4 internes seulement. En 1807 les bâtiments du collège menacent ruine, le matériel a été dispersé . On procède à des réparations. Le premier adjoint M. Raulhac  fait une quête en ville qui rapporte 6000 francs plus 4000 et 2000 légués par l’abbé Revel et M. de Beauclair. L’abbé Bellet dirige l’école, avec sept professeurs et le conseil municipal sollicite sa transformation en lycée, mais en vain ; il faudra attendre…

Durant la Restauration, en 1824, le collège a failli devenir un petit séminaire, mais le conseil municipal refuse. A la distribution des prix, la même année les élèves jouent des scènes des ”Fourberies de Scapin” et d’ ”Andromaque“, et même en 1826 un ”Vercingétorix” ! A la suite de querelles politiques, un professeur, M. Pompier donne des leçons de grec et de latin à 25 élèves, dans un café ayant pour enseigne ”Le Café Républicain”.

Après 1845, on introduit au collège l’enseignement de l’espagnol, donné par des officiers réfugiés.

En 1869, le collège fournit 19 bacheliers et un élève à Saint-Cyr. Emile Duclaux y fait toutes ses études secondaires. Mais ensuite, pendant plus de trente ans encore, à Aurillac point de Lycée alors que beaucoup d’autres villes en sont dotées.

NEGOCIATIONS

Le 3 juin 1878, le maire de la cité géraldienne, se plaignant que le Cantal fut un des rares départements de France demanda, en compagnie du député Raymond Bastid, une entrevue à M. le Ministre de l’Instruction Publique. Tous deux recevaient de ce dernier un accueil aimable, mais ils se heurtèrent à un refus ferme, sous prétexte que la population scolaire locale n’était pas assez importante. (Le collège ne comptait alors que 125 élèves) .

Mais les aurillacois s’entêtèrent. Le 10 novembre 1879, une délégation était chargée de porter au ministre les vœux du Conseil Municipal tendant à la création d’un Lycée. Les huit ”ambassadeurs” aurillacois obtinrent enfin satisfaction : le 18 décembre 1879, le collège était érigé en Lycée en attendant la construction de nouveaux bâtiments. La ville s’engageait à fournir un terrain de deux hectares au moins, à contribuer aux frais de construction pour une somme de 350.000 francs et à payer la scolarité de 10 internes.

Le 6 janvier 1880 M. Zévort, représentant du ministère précisait que la ville pourrait faire un emprunt de 30 ans avec un intérêt de 4% auprès de la caisse des lycées récemment créée. Elle aurait à surveiller à ses risques et périls l’exécution des travaux et les malfaçons possibles. L’Etat choisirait l’emplacement futur en accord avec la ville.

Lors de son séjour à Paris, le Maire avait rencontré M. Lisch, un architecte ”qui avait une remarquable compétence dans son art et qui connaissait le Cantal pour y avoir effectué plusieurs travaux”. Il demandait comme honoraire 5% sur le montant des travaux effectués et 1500 francs par an pour ses frais de voyage pendant la construction.

Restait à choisir l’emplacement du futur lycée. Sept terrains furent signalés par le maire et firent l’objet d’une étude par les élus municipaux.

-       Le pré Bouygues, situé entre l’usine à gaz et l’auberge du Pont Rouge

-       Le pré Leitze au dessus du pré Monjou

-       Le collège et les immeubles adjacents (à démolir)

-       Le pré Danjeny et le pré Monjou

-       L’enclos de Falvelly (actuel emplacement du lycée)

-       Le terrain au-dessus de la gare appartenant à Mme Ferlac

-       L’enclos du Cayla

Le 27 mars 1880, M. le recteur Boissières et M. Jourdain, architecte du ministère se rendirent à Aurillac pour visiter les emplacements proposés. Et M ; le Recteur de déclarer que ”l’établissement d’un hospice dans une ville devait être considéré comme insalubre ou dangereux, surtout dans le cas d’épidémie, et qu’il ne placerait jamais le lycée dans l’enclos de Falvelly parce qu’il se trouvait sous le vent du sud de l’hospice.”

De même étaient rejetés les emplacements du pré Monjou et du cours d’Angoulème à cause ”soit e leur mauvaise réputation soit du voisinage de l’usine à gaz”

Et à la surprise générale, le choix de ces deux personnalités se porta sur l’enclos du Barra qui ne figurait pas parmi les deux retenus par le Conseil Municipal.

L’affaire, ensuite, traine encore, dans une ambiance de querelles animées par les journaux, dont surtout le Moniteur. Ce n’est que le 15 décembre 1882 qu’un arrêté ministériel autorise la ville à acquérir le terrain du Barra appartenant à M. Marty. L’expropriation de l’enclos eut lieu entre le 31 janvier et le 15 mars 1883 ; il en coûtait à la ville 55.600 francs (75.000 aux dires du ”Moniteur” qui proteste contre le ”saccage méthodique d’un si bel enclos”).

FAUX-PAS

Dès le 16 juin 1883, un coup de théâtre : M. Lisch, l’architecte, fait part de ses inquiétudes : le terrain du Barra, ”composé d’éboulis sans consistance” risquait de ne pas supporter la construction.

Cependant au courant du même mois de juin, le 24, Pasteur et le général Boulanger étant à Aurillac pour assister au concours régional agricole et inaugurer la statue du général Delzons, on en profite pour poser la première pierre.

La délégation formée du recteur, du préfet, du maire des généraux Boulanger et Pichot-Duclos, des députés (à l’exception de Durieu), des membres du conseil général et du conseil municipal, de magistrats et de conseillers de la préfecture, se rend au Barra, où l’attend une faible assistance (la foule s’est plutôt massée autour de la statue de Delzons). Une boite de cuivre contenant le procès-verbal de la cérémonie et des pièces de monnaie au millésime de 1883 est scellée dans la pierre inférieure. Chacun vient déposer un peu de mortier avec une ”élégante truelle”. La pierre supérieure, suspendue à un treuil, est descendue. Les officiels, à tour de rôle, la ”frappent de quelque coups d’un marteau d’acier à manche d’ébène”. Le maire, conformément à la tradition oublie sur la pierre ”par mégarde” un billet de 100 francs que les ouvriers s’empressent de récupérer. Des discours sont prononcés par le recteur, le député A Bastid et le Maire. Le Moniteur du Cantal, journal conservateur, en profite pour répondre aux attaques de ses adversaires anticléricalistes en raillant le rituel auquel on vient d’assister : ”le culte laïque dont nous avons énuméré les détails tout en en laissant deviner le symbolisme, n’a rien à envier aux pratiques religieuses que nos esprits forts sont souvent tentés de tourner en ridicule ; le ridicule est pour eux et ce n’est que justice”.

Puis très vite on s’aperçoit que le sol est vraiment ”de mauvaise qualité” et que le terrain du Barra n’est pas constructible. Scandale et débats. La ville a acheté le terrain à M. Marty inutilement et il lui faut indemniser les entrepreneurs qui avaient commencé certains travaux. A remarquer que J.B. Rames, qui était parfaitement au courant pour avoir avait fait l’étude de la géologie du Puy-Courny (publiée en 1884), évite de se mêler à ce débat, de peur de l’envenimer et de perdre du même coup l’appui des autorités, nécessaire à la poursuite des travaux.

Le 1er septembre enfin, la municipalité est informée que le ministère de l’Instruction Publique engage le maire à faire cesser les travaux, le menaçant de retirer la subvention promise par l’Etat… Le 28 novembre 1883, une séance houleuse du Conseil Municipal entérine l’abandon définitif du terrain.

ENFIN !

Peu à peu l’émotion en ville et la zizanie s’apaisent et l’on recommence tout. Après examen des sept terrains proposés à l’origine par le maire, c’est finalement l’enclos Falvelly qui est retenu. Les plans sont soumis à l’examen de la commission des bâtiments des Lycées et Collèges. La ville est priée d’aménager les voies d’accès au Lycée, à savoir le prolongement de la rue Beauclair et un accès à la route de la gare. Dès le 17 juin 1897 le Conseil Municipal donne son approbation aux plans, devis, séries de prix et cahiers de charges dressés par M. Lisch, architecte.

La dépense alors prévue est de 1.709.371 francs. Le devis estimatif des travaux  précise que certains éléments du bâtiment (chapelle, gymnase) doivent être construits en pierres de Faillitou, d’autres, (escaliers, perron)en pierre de Limagne, la couverture étant constituée d’ardoises d’Angers. M. Chièze est désigné comme architecte directeur des travaux.

Nouvel obstacle cependant : M. de Falvelly s’oppose au nouveau projet. Cet avocat avait abandonné l’enclos de Noailles dont il était propriétaire, pour aménager ce nouvel enclos d’une superficie de quatre hectares et demi, autrefois au comte de Sarret. Le parc comprenait alors 4000 arbres , 600 arbres fruitiers, 8 sources avec bassin, 55 carreaux de jardin potager, un pré pouvant nourrir 3 vaches et 2 chevaux.

Un procès oppose Falvelly à la ville. Le 5 avril 1886, le Tribunal de première instance d’Aurillac fixe les indemnités d’expropriation : de Falvelly reçoit 89.400 francs au lieu des 254.000 demandés.

Le 28 septembre 1887, les travaux les travaux de construction sont adjugés à M. Félix Mandement, entrepreneur de travaux publics à Auterive en Haute-Garonne, à M. Sélébran, entrepreneur de charpente à Brive, à M. Henri Ribes, entrepreneur de couverture et plomberie à Lyon, à M. Latécoère, menuisier à Banières de Bigorre, à M. Laurent Gemy, serrurier à Marseille, à M. Jules Dibon, entrepreneur de peinture à Vichy.

La construction du Lycée peut commencer. Elle ne sera pas toujours aisée car les matériaux prévus reviennent trop cher et ne sont pas d’un accès facile en hiver. Ainsi la pierre de Faillitou, au dessus de Thiézac est remplacée en 1888 par la pierre de taille de Lafage (commune de Saint-Clément) déjà utilisée à Aurillac pour les casernes. Le sable d’Arpajon remplace le sable de rivière. En 1889, la charpente s’avère défectueuse, l’entrepreneur ayant utilisé un mauvais bois de chêne ”nouvellement débité et complètement vert”.

Tout cela déclenche de sévères passes d’armes dont la plume est le moyen, ”Le Moniteur” et ”’Indépendant ” les protagonistes. Ainsi ”Le Moniteur” ayant un jour titré sur ”les gros cadeaux faits par l’architecte Chièze à l’entrepreneur Mandement , ”’Indépendant ” répond en date du 18 avril 1888 : ”Le Moniteur”, toujours à la recherche de la petite bête sur les têtes qui ont du talent – nous allions dire le bonheur – de lui déplaire, estime que l’architecte du Lycée, de complicité avec le Conseil Municipal, aurait fait à M. Mandement un cadeau dont il n’ose pas accuser le chiffre, en autorisant cet entrepreneur à extraire sa pierre de la carrière de Lafage, carrière du Mas, concurremment avec celle du Faillitou et à substituer le sable lavé d’Arpajon à celui de La Jordanne”. 

Enfin en 1891, le Lycée de la rue du Collège est transféré dans les nouveaux locaux où l’on en est encore à installer le chauffage par la vapeur ”dont la température prévue doit varier suivant les usages : 18° dans les bureaux et l’infirmerie, 15° dans les classes, 10° au réfectoire, 5° dans les dortoirs.

L’ouverture du Lycée, fixée au 2 octobre, est annoncée dès le 26 août 1891 par le journal l’Indépendant.

Le mardi 11 septembre 1892, à 9 heures du matin, a lieu la réception définitive des travaux du Lycée. Il en aura coûté 1.993.927 ,26 francs. L’Etat aura versé 1.011798,68 francs, le département 161.829 francs, le reste allant à la ville.

LE PETIT LYCEE

Sa construction découle du succès immédiat du Lycée et de ses effectifs croissants. La lettre du Recteur à l’Inspecteur d’Académie du 14 janvier 1892 l’atteste : ”Le lycée n’a pas de classe enfantine isolée… Il y aurait lieu, si comme je crois, les reliquats disponibles le permettent , de construire une classe enfantine avec préau couvert, sur un terrain libre, placé en face de l’entrée du Lycée et lui appartenant”.

Dès avril 1903, un premier plan est dressé par l’architecte de la ville. Le Conseil Municipal, en séance le 3 octobre 1906, sous la présidence de M. Fesq, maire, adopte le projet présenté par M. Croizet, architecte, et fort d’un devis de 162.785 francs…

Les travaux de construction ont lieu entre 1907 et 1908 mais de nouvelles difficultés surgissent à propos de la mitoyenneté (avec cinq propriétaires différents), et des murs de soutènement. Le procès verbal de réception définitive est signé le 28 décembre 1911 ; il semble mettre fin à une longue période difficile.

En collaboration :
Jean-Paul Borderie,

Thérèse Delbac,
Vincent Flauraud,
Germain Pouget.

Sources : Archives départementales J.IO-IT
Archives municipales : E Duclaux MI-I ; E Duclaux IV M2