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Bulletin de l'amicale (2021) - Les anciens élèves écrivent

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Les anciens élèves écrivent

La Corse impériale

Le matin, aussitôt que le dernier professeur était passé, qu’il avait vu ceux qui étaient ses confrères mais, pour lui, ses collègues, rejoindre leurs classes, et là-haut, tout au long des galeries, les enfilades d’élèves, il empoignait ce qui était son bâton de Maréchal et il se concentrait sur ce qui était sa charge spécifique sans laquelle l’établissement tout entier aurait été aveugle : il allait « chercher le courrier !... »

Et là, tous les jours, se répétait le mystère : quand il revenait, la matinée était avancée, très avancée. Le Proviseur piaffait, s’inquiétait toutes les cinq minutes de savoir « si Raffaelli était rentré !... ». Et il m’avait chargé d’une petite enquête.

Le début avait été simple. Quand notre homme, après avoir enfilé sa tenue de gala et pris le sac, filait jusqu’au Square, le suivre était presque un exploit. Il allait le vent et, si on avait bien regardé, tout au long de la rue, derrière son passage, on aurait deviné la petite fumée bleue de la course. Il plongeait dans le vieil Aurillac, affairé et distant, avec l’air concentré de celui qui est chargé de la mission essentielle. Il arrivait à la Poste et disparaissait dans la salle de distribution juste au moment où s’ouvrait la porte. Après, c’était au terme d’un temps anormalement long qu’il réapparaissait au Square, reprenait la rue du Lycée, suivait le trottoir de droite où, tous les jours, un vent de face semblait freiner son avance et un vent de travers demandait aux façades des maisons de le remettre gentiment dans l’axe.

Il avait découvert ma sollicitude et, suivant les jours, tout y passait : « Tu sais !... Le courrier ?... C’est lourd !... » Mais, devinant l’excuse un peu maigre, il avait invoqué un justificatif : « Les recommandés !... » Il avait même ajouté : « Les mandats !... »

Ma petite enquête m’avait montré que, des derniers, il y en avait deux ou trois par mois. Quant aux précédents, ils étaient pareils aux Tartares qui devaient attaquer le lendemain. J’avais cru bon de lui dire : « Tu devrais faire attention !... » Mais la tentation était trop forte et le Proviseur, peu convaincu par mon rapport, avait donc, discrètement, pris le relais.

Avec l’aide d’une relation à la Poste il avait constaté qu’une grande partie du courrier du Lycée était triée au départ par un autre compagnon, complice et intéressé. Les suppléments étaient embarqués dans la foulée. Nos deux complices s’escamotaient par une porte arrière et rejoignaient discrètement un petit bistrot tenu par le troisième de l’histoire.

Là, notre gaillard déposait le sac à l’entrée et, calés contre le comptoir, narrant à l’infini les mêmes histoires corses, les petits blancs se succédaient comme les unités le jour du quatorze juillet. Avait-il une contenance limitée ? Toujours est-il qu’il repartait heureux !... Pourquoi a-t-il fallu que, ce jour-là, sur le trottoir d’en face, le Proviseur l’attende ? Il est des jours où la vie est chargée de maléfices !...

Ce qui est sûr : ils ont pris au trot le chemin du retour. Depuis l’annexe, je les regardais arriver. Le Proviseur

marchait au milieu de la rue. Raffaelli avait retrouvé le trottoir. Mais un fort vent du Sud le propulsait, ce matin-là, à une vitesse qu’en temps normal il aurait jugée incongrue. Tout droit il avalait la rue, poussé par les éléments, la honte au front et- moralement- le pied au cul.

Et je n’ai pu m’empêcher de rire. J’avais cru l’entendre : « En la circonstance, Monsieur le Proviseur et moi-même nous pensons !... »

Philippe Roucarie, In Fenêtres sur Vie. Ed Créer.